Comme un mauvais rêve... [Setsu]

Après les mésaventures de la plage, nos deux jeunes gens retournent au lycée…

Il avait bien sortit son portable, mais n’avait appelé personne, juste levé les yeux au ciel. Lacrima se garda bien de la moindre remarque. Il savait mieux qu’elle ce qu’il faisait et s’il ne rappelait pas, il avait sans doute ses raisons.

En tout cas et quoi qu’il puisse en dire, il était évident que ça n’allait pas. Il semblait avoir quelque difficulté à respirer. Puis il s’était forcément blessé, peut-être même cassé quelque chose en se battant contre ce vampire. Il avait besoin de soins. Ajoutez à cela le moral à zéro et la douleur engendrée par la tristesse. Voilà quelles étaient les inquiétudes de Lacrima alors qu’ils ses dirigeaient vers le lycée.

Elle faisait exprès d’aller le plus lentement possible. La décision de rentrer était sortie de s bouche, mais elle ne lui plaisait pas beaucoup plus qu’à Setsuna. Certes, la nuit était mauvaise et elle avait hâte que tout se termine. D’un autre côté, elle appréhendait un peu le moment où elle laisserait le jeune homme seul, et où elle se retrouverait seule également. Que fera-t-il quand elle ne sera plus là ? Pas de bêtises…

Cependant elle pouvait ralentir autant que possible, elle finirait par arriver à destination tôt ou tard, plus tard que tôt de préférence. Mais déjà elle voyait la silhouette du bâtiment se dessiner.
Bientôt, ils furent dans le jardin de l’établissement. Ce tapis de roses noires… Drôle de couleur pour un parterre de fleurs. Elle avait trouvé cela joli, mais ce soir tout lui paraissait sinistre.

Il y avait aussi le ruisseau. Cette source d’eau claire qui scintillait sous la Lune. Les étoiles s’y reflétaient. Lacrima tira doucement son camarade par la main qu’elle tenait toujours, pour l’entraîner au bord du ruisseau.

- Tu devrais te rincer la figure, elle est toute tâchée de sang.

Elle pensait que l’eau fraîche lui ferait du bien.
La jeune fille posa son regard sur le garçon : il paraissait plus mort que vif, si pâle, les prunelles éteintes. Revenant à ses préoccupations précédentes, elle lui posa la question :

- Il y a quelqu’un avec toi, dans la chambre ?

Elle voulait s’assurer qu’il ne resterait pas complètement seul.

Lacrima et Setsuna avait marché encore un long moment, la jeune fille semblait vouloir retarder le moment où ils rentreraient à l’internat et le jeune homme se promis de faire quelque chose pour elle quand il irait mieux. La silhouette du bâtiment s’imposait à eux et le jeune homme ne put que détourner le regard. Ils seraient bientôt rentrés, chacun dans leur chambre.
Ils passèrent la grille peu de temps après et sa camarade sembla s’attarder sur le parterre de roses noires. Cet internat était vraiment pas accueillant ! Le jeune homme ne se souvenait même plus du pourquoi et du comment il avait choisit cette école ! Les professeurs n’y étaient pas mieux qu’ailleurs, le directeur était un vampire complètement dérangé, et le maître des ténèbres, accessoirement, sans compter que le décors était plus ou moins sinistre !
Lacrima s’arrêta alors près du ruisseau, s’il n’avait pas été dans un tel état, le ruisseau l’aurait fait sourire, le souvenir de cette nuit avec Yuri aurait dû l’égayer mais il n’y eut aucune réaction, pas même une once dans ses deux pupilles. Il se sentait tel un bout de viande qui s’était juste éveillée quelques temps, durant son combat et un peu après, lorsqu’il s’était enfermer dans une bulle protectrice du monde extérieur avec sa camarade.

La jeune femme lui conseilla de se rincer le visage, en effet, le sang sécher commençait à le gratter. Il se laissa tomber mollement sur ses genoux près du ruisseau puis saisit de l’eau claire entre ses mains. Il resta un moment à fixer le liquide puis s’aspergea le visage avec. C’était à la fois vivifiant et douloureux. Ce contacte avec l’eau le ramenait brusquement à la réalité et le sortait de son air « à côté de la plaque » qu’il avait conservé jusque là. Dorénavant, il ne restait plus que cette mine déconfite, c’était plus fort que la tristesse, c’était une douleur vive, saisissante, qui criait et qui demandait de l’aide. Le jeune homme fit barrage à se regard désemparé au moyen de ses paupières puis la jeune fille lui demanda si il était seul ce soir, dans sa chambre. Le jeune homme hocha la tête de façon à indiquer que oui il serait seul. Yuri dormait dehors, comme d’habitude. Il lança alors un regard peu convaincu à la jeune femme et lui affirma que tout irait bien, un demi-sourire résigné sur le visage.

Setsuna se rinça le visage, comme elle le lui avait conseillé. Mais on n’aurait peu dire si l’eau fraîche lui avait réellement fait du bien ou non. On ne lisait rien sur le visage du jeune homme, rien d’autre que cette même douleur, qui ne le lâchait plus depuis le malheureux coup de téléphone.
Contrairement à ce qu’elle pensait et espérait, il serait seul dans sa chambre. Il lui semblait pourtant que toutes les chambres allaient par paires. Mais l’heure n’était pas à ces questions.
Ce regard peu convaincu, ce demi-sourire si évidemment forcé, tout dans sa physionomie était là pour démentir ses paroles. Tout allait déjà très mal et Lacrima avait peine à le croire lorsqu’il affirmait que tout irait bien.

- Ouais, tout ira bien… Mais quand même, je suis pas sûre que ce soit une bonne idée, que tu restes seul toute la nuit.

Elle parut réfléchir un instant avant d’ajouter :

- Tu devrais aller à l’infirmerie. Là-bas on te soignerait et il y aura quelqu’un pour veiller sur toi le reste de la nuit.

Lacrima eut un petit soupir et elle secoua légèrement la tête. Elle ne pouvait pas prétendre qu’elle connaissait très bien le garçon, au point de prévoir ses réactions. Il n’empêche qu’elle était quasiment sûre qu’il n’accepterait jamais la proposition. Enfin, elle espérait bien se tromper, après tout, pourquoi refuserait-il ?
Lacrima alla s’agenouiller près du jeune homme, juste au bord du ruisseau. Elle ne dit rien, regardait simplement les étoiles se refléter sur l’eau claire. Elle essayait de réfléchir. Seulement il est difficile de se concentrer quand on a l’esprit perturbé. Ses pensées allaient par bribes désordonnées.
Puis elle en arriva aux suppositions : si elle ne s’était pas levée, si elle était restée sagement dans son lit, rien ne serait arrivé. Mais ça n’aurai pas empêché au père de Setsuna d’appeler. Et s’il avait été seul près des rochers à ce moment là… Non, il valait mieux arrêter là ces idées ridicules. De toute façon, on ne pouvait plus revenir en arrière.
Elle tourna la tête de côté, de façon à voir le jeune homme.

- Je peux faire quelque chose pour t’aider ? Je me sens inutile. J’aime pas ça.

Ce sentiment d’impuissance que l’on ressent face à une personne triste, si triste…

Le jeune homme s’était résigné. Il avait mal, très mal, mais il voulait en montrer le moins possible. Lacrima serait probablement la seule à savoir pourquoi il était comme ça, du moins, depuis quand il était comme ça. Peut-être que plus tard, il lui dirait les fameuses raisons de sa douleur. Après tout, elle avait été là pour lui et il trouvait ça injuste de lui caché le pourquoi du comment. Seulement, pour l’instant, il n’en avait pas la force. Il n’y avait plus de sang sur sa peau pâle et lisse. Il ne restait plus qu’une fine griffure qui saignait encore un peu sur la joue du jeune homme. Ce satané vampire lui avait griffé la joue de façon horizontale. Rien de bien sérieux, il n’aurait probablement pas de cicatrice. Le plus douloureux restait ses côtes et sa mâchoire.
Cependant, cette douleur réelle lui permettait de concrétiser sa douleur, de l’atténuer. Il arrivait à ordonner ses pensées maintenant et il voyait bien que sa camarade était inquiète. Il n’arrivait pas à sourire, mais il lui lança un regard emplis de reconnaissance. Ce même regard était assez tendre aussi. IL ne comprenait pas pourquoi cette jeune femme s’occupait autant de lui, un monstre qui tuait de sang froid et qui n’arrivait même plus à la faire sourire.

Elle semblait visiblement chagrinée par le fait qu’il soit seul dans sa chambre ce soir, même si il lui avait dit que tout irait bien. Elle restait sur sa position en affirmant qu’il ne serait pas bon pour lui qu’il passe la nuit seul. Si Yuri dormait dehors il n’y pouvait pas grand-chose, et puis, à vrai dire, il n’avait pas l’intention de rentrer dormir. Il raccompagnait Lacrima jusqu'à l’intérieur du bâtiment puis repartait en ville. Il fallait qu’il fasse passer tout ça et il savait déjà où il irait. Le bar de Lyra était ouvert 24h sur 24 et ce soir, c’était elle qui était de garde. Oui, la chaleur de quelques verres serait la bienvenue.

Lacrima lui intima qu’il serait mieux qu’il aille à l’infirmerie. Il lui lança un regard emplis d’affection qui se voulait rassurant. Il ouvrit la bouche, laissant une voix doucereuse contrôlée et mesurée s’épanouir hors de sa gorge :

- Je suis pas Suicidaire tu sais, je peux rester seul une nuit. Il ne va rien m’arriver.

Il se redressa, luttant contre toute ces douleurs qui le rongeait, il ne laissait paraître presque plus rien. Il s’en voulait d’avance pour ce qu’il préparait, mais il préférait ça que la voir s’inquiéter inutilement pour lui. Il s’approcha d’elle puis elle tourna la tête vers lui, lui demandant ce qu’elle pouvait faire pour lui. Le jeune homme força une fois de plus un sourire. Il posa une main sur sa joue droite et déposa un bisou sur son front avant de la prendre dans ses bras. Il le savait, son côté manipulateur ressortait, mais de toute façon, il ne pouvait pas faire mieux pour elle. Il resserra son étreinte à ses sombres pensées. Il ne voulait pas qu’elle s’inquiète autant, il ne voulait pas l’empêcher de sourire. Elle était une amie sur qui il s’appuyait déjà beaucoup trop.

- Tu es loin d’être inutile, t’as déjà fais énormément ce soir. Je t’en veux pas si tu veux aller te reposer maintenant. Et cesse de t’inquiéter autant, d’accord ?

Comme Lacrima l’avait prédit, il n’était pas question pour Setsuna de passer la nuit dans les draps blancs de l’infirmerie. Elle essaya de s’amuser de l’allusion au suicide, comme si c’avait été une petite blague. Elle voulait rire, pour se détendre. Elle n’y réussit que très mal, d’abord parce qu’il n’était pas sûre que ces paroles eut été dites à la légère. Puis il était bien difficile de sourire en ce moment. Les coins de sa bouche ne s’étiraient qu’en une drôle de grimace.
Après quelques instants, cette idée de suicide associée à l’infirmerie lui causa une certaine peur. Des images sombres défilaient dans sa tête : il y avait du sang, des cris, des larmes, un lit blanc de malade. Elle croyait sentir l’odeur de mort qui flotte dans les hôpitaux. Puis brusquement elle abaissa les paupières, pour masquer ces images horribles. L’esprit, malmené par la fatigue, a parfois d’étranges hallucinations.

- Non…

Non, elle aurait bien du mal à ne plus s’inquiéter autant. C’était sortit tout seul. Mais après réflexion elle se dit qu’il aurait mieux valu dire « Oui », pour tranquilliser le jeune homme. C’est ce qu’il aurait voulu entendre. Enfin elle arrêta de se prendre la tête, elle n’en pouvait plus de réfléchir, son esprit n’était plus assez éveillé.

La jeune fille s’abandonna complètement dans les bras de Setsuna. Elle était comme une petite poupée qu’on aurait pu secouer dans tous les sens sans qu’elle ne réagisse. Se reposer ? Quelle idée attirante. Oui, la fatigue l’écrasait, elle sentait ses membres affaiblis. S’étendre dans son lit et se laisser aller à un sommeil paisible…
Mais elle savait parfaitement que ce serait impossible ce soir. Ses pensées ne la laisseraient pas tranquille. Depuis longtemps Lacrima ne s’était pas sentie aussi mal, étouffée entre la peur, l’inquiétude et une certaine surprise. Un drôle de fouillis où elle-même ne savait retrouver ses propres sentiments.

- Je ne comprends pas…

En effet, de nombreuses choses restaient lui avaient échappées ce soir, elle ne saisissait pas tout.
Lacrima se remémorait la soirée depuis le début, cherchant en quoi elle avait pu être utile. Il lui semblait qu’elle n’avait pas fait grand-chose, à part récolter des coquillages. Si seulement c’avait pu en rester là, une simple pêche aux coquillages…

- Je pense que j’vais te ramener à ta chambre quand tu voudras, et qu’après ça, je te laisserais pendant un moment. Demain je ne serais pas là de toute façon et je sais pas quand je retournerais en cours.

Lacrima ne disait plus rien. Elle ne savait plus quoi dire. Peut-être aurait-elle dû demander à renter. Une fois seule dans sa chambre elle se serait tassée dans un coin du lit. Cachée sous les couvertures, elle aurait fermé les yeux et serait tombée dans un sommeil profond et sans rêves. Sans doute c’était le mieux. Mais comme on fait rarement le meilleur choix, elle ne demanda rien.
Elle resta la bouche close, assise au bord du ruisseau. Penchée au-dessus de l’eau, elle vit son reflet à la surface. Quelle mine ! Elle se fit presque peur et s’en voulu de ce mauvais air. Une personne dans la plus profonde douleur n’aime pas avoir face à elle quelqu’un qui tire une telle tronche. Comment espérait-elle réconforter avec une expression si… si quoi ? Existe-t-il un adjectif pour la décrire ?
La jeune fille se remit sérieusement en cause. Avait-elle une bonne raison d’être si accablée. Certes, un vampire avait faillit la dévorer, mais elle avait été sauvée et s’en été tirée de manière plutôt heureuse. Sinon, rien ne lui était arrivé de fâcheux ; la vie ne fut pas méchante avec elle cette nuit là. Elle n’était évidemment pas la plus à plaindre des deux. Quant à l’inquiétude… L’inquiétude ne se montre pas à celui qui cause du souci. Elle devait tenter de faire meilleure figure, même si ce n’était pas facile.

Après s’être faite ces quelques remontrances, Lacrima se leva pour s’agenouiller au pied du rocher où se tenait Setsuna. Puis, avec l’air de quelqu’un qui vient de se rappeler quelque chose, elle fouilla dans l’unique poche de son short. C’était une toute petite poche carrée, sur la cuisse droite, dont elle tira un objet plus petit encore. Elle appuya son coude sur a jambe du jeune homme et lui présenta à hauteur du nez le petit trésor au creux de la main.

- Tiens

C’était une petite perle bleu océan : le coquillage qu’elle avait ramassé dans la mer et qu’elle avait gardé parce qu’elle le trouvait joli, de la couleur des yeux de « Jacques ».
C’est bien un sourire qui étirait le coin de ses lèvres. Tout petit et encore douloureux mais véritable, un sourire quand même. Bien sûr on lisait toujours sur ce visage les restes de l’inquiétude et das ses yeux le fond de la peur. Ce sont des traits qu’on n’efface pas si facilement. Seulement en plus un sourire, aussi timide qu’il soit.

- Tu n’iras plus en cours…mais tu viendras me voir quand même, pas vrai ?

Pouvait-elle se permettre de demander cela ? Ce fut autour de Lacrima de plonger son regard dans celui du garçon. Elle attendait sa réponse avec une certaine anxiété. Une nouvelle crainte naissait dans l’esprit de la brune. Si Setsuna partait pour ne plus revenir ? S’il ne voulait plus la voir ? Elle avait l’impression que c’est ce qu’il essayait de lui dire. Et c’est bien ce qu’elle avait peur de commencer à comprendre.

Setsuna observa un moment Lacrima. Elle semblait si, troublée et mal ! Le jeune homme ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il aurait mieux fait de ne pas sortir de sa chambre, cette nuit là. Il masqua son visage dans ses mains en poussant un long soupir. Cette douleur lancinante lui retournait le cœur, lui torturait le ventre. Il se sentait mal, très mal, pour la mort de sa mère, bien sûr, mais également, il se torturait l’esprit pour avoir gâcher la soirée paisible qui avait si bien commencée en compagnie de Lacrima. Il voulait sourire, mais n’y arrivait pas. Il voulait se sentir heureux et se trouvait sale par la même occasion. Qui voudrait être heureux le soir même où l’on vous apprend que votre mère, la femme qui comptait le plus à vos yeux s’en est allé, sans un au revoir, sans avoir pus la voir.

Le jeune homme s’était réfugié dans la pénombre que lui offraient ses mains sur son visage, un nouvel assaut de larme le tiraillait derrière ses paupières. Avec du mal, il le contenu. Il poussa un long soupir semblable à une plainte et il sentit la présence de Lacrima à côté de lui. Elle lui adressa la parole, doucement, lui tendant un petit objet.

Le jeune homme identifia la chose comme étant le coquillage de tout à l’heure. Il glissa sa main sur celle de Lacrima, enfermant le coquillage entre sa main et celle de son amie. Cette petite et douce main, il ne voulait plus la lâcher. Elle lui souriait, avec toute la volonté qui lui restait, elle lui souriait, alors que lui n’y arrivait même pas.

Lacrima reprit la parole, doucement, légèrement, mais toujours cette tonalité inquiète qui le tourmentait. Si il viendrait la voir ? Il ne voulait pas, il ne voulait pas détruire son entourage, si il devait détruire quelqu’un, c’était lui, et uniquement lui, il n’avait pas le droit de faire du mal à ses proches. Quelque part, au plus profond de lui, le jeune homme entendit un craquement puis un déchirement douloureux, comme un bruit de glace brisé et la chaire lacéré. La douleur s’intensifia, ses émotions se mélangeaient, vite, trop vite. Elles tourbillonnaient derrière les yeux du jeune homme : Peur, douleur, tristesse puis le vide par intermittence. Setsuna, de sa main libre, vint prendre en coupe le visage de sa jeune amie, essayant d’esquisser un sourire désolée. Il ne pouvait pas se permettre de rester près d’elle trop longtemps… Pas dans ces conditions.

- Ecoute… Je vais certainement rester la fin de la semaine chez mon père. J’t’expliquerais plus tard peut-être pourquoi. Je serais pas en ville donc je ne pourrais pas venir te voir. Et puis, vu dans l’état ou je suis, c’est mieux pour toi qu’on ne se voit pas pendant un moment, je crois…

C’était peut-être dur à entendre, il n’en savait rien, mais il pensait que c’était le mieux à faire, pour elle, pas pour lui. Lui, il s’en foutait pas mal, en ce moment. Il n’y avait que le visage de sa mère, et la douleur, que ça soit la sienne ou celle de sa camarade.

Lacrima laissa le coquillage dans la main de son camarade et se leva avec un sourire devenu amer.

- Bien.

Elle connaissait le manège par cœur, ce n’était pas la première fois qu’on l’embarquait dans un tour. Le « j’t’expliquerais plus tard peut être » qui veut dire qu’on ne saura jamais parce qu’on n’a pas envie de nous mettre au courant. Et par « il vaut mieux qu’on se voit pas pendant un moment » il fallait comprendre « En fait, tu me fatigues je veux plus te voir ». Comment se débarrasser de quelqu’un, scénario classique.

- Très bien, j’ai compris. Mais je vois pas en quoi ce sera mieux pour moi.

Là encore, elle croyait reconnaître un moyen de détour.
Il y en a, pour vous jeter, ils y vont cash. Ils vous disent en face qu’ils en ont marre de votre tête et que vous êtes trop collants. Ça a le mérite d’être clair, mais ça fait mal. Et il y a les plus sensibles, ceux qui y vont avec les pincettes pour ne pas trop blesser. Visiblement Setsuna faisait partie de cette dernière catégorie : tout en douceur.

- Tu sais, si tu veux plus me voir, tu peux le dire carrément. J’le prends pas mal.

Il n’y avait pas le moindre reproche dans sa voix. Comme elle l’avait dit, elle ne le prenait pas mal. On aurait même pu dire que dans un sens elle comprenait (ou croyait comprendre). C’était pas la première fois qu’on lui faisait ce genre de coup. Puis on ne peut pas être apprécié de tout le monde alors… Il n’y avait peut-être qu’une pointe de déception.

- Dommage, moi j t’aimais bien.

Jusque là, elle croyait que c’était réciproque. Tout le monde peut se tromper, c’est ce qu’elle se disait.
Après, la vie continue… pour elle du moins. Mais qu’allait-il advenir de Setsuna ? Il était si mal en point. Il allait chez son père pour la semaine, pas de quoi s’en faire. Et qu’envisageait-il pour la suite ? C’est ce que Lacrima voulait bien savoir.

- Après être allé chez ton père, tu sais ce que tu vas faire ? Puisque tu comptes pas revenir ici…

Dernière inquiétude de jeune fille.

Le sourire de sa camarade était devenu amer, Setsuna ne comprit pas sur le coup. La jeune femme lâcha sa main et il fronça les sourcils tout en fixant le coquillage dans sa main. Qu’avait elle comprit encore de travers ? Visiblement, elle se faisait encore toute une machination, elle imaginait encore un scénario qui n’existait pas. Setsuna la regarda, le doute et l’incompréhension dans le regard. Ce qui suivit derrière le brisa littéralement, l’achevant complètement. Jamais il n’aurait pensé ça ! Un assaut de douleur le prit au ventre : ses côtes cassées lui faisaient mal, et pour cause, sa respiration s’était accélérée sous le coup de la tristesse et aussi de la colère. Setsuna se raidit et ferma les yeux en se tenant le ventre puis reprit une position plus confortable et fixa durement Lacrima. Il lui saisit le menton entre son pouce et son index et porta son visage à sa hauteur, la fixant de très près. Son souffle saccadé jouant sur la peau de la jeune femme. Son regard restait dur et sévère.
Le jeune homme posa son autre main sur la joue droite de la jeune femme et colla son front sur le sien tandis qu’il poussa un soupire interrompu par moment à cause de sa respiration douloureuse :

- Lacrima, crois-moi, si j’avais l’choix j’resterais avec toi, tout mon temps libre ! T’es agréable, seulement, là, je vais finir par te fatiguée, te briser, il faut d’abord que j’arrive à me retrouver et à cicatriser.

Sa voix était dure mais tremblait, elle tremblait dans un mélange de tristesse et de colère, comment avait-elle pu croire ça ? C’était sans doute une des personnes qu’il appréciait le plus ici ! Le jeune homme lâcha le visage de la jeune fille puis son regard se fit beaucoup plus doux bien que le fond restait baigné dans la douleur et la tristesse. Ce qu’il comptait faire après avoir fait un stage chez son père ? Il ne savait pas…

- J’en sais rien… Papa s’est trouvé une autre bonne femme ya pas si longtemps… j’suis pas prêts pour rencontrer ce genre de nana en plus il paraît qu’elle à une fille… Donc je resterais pas longtemps chez lui.

Non décidément, il ne pouvait pas avoir une « deuxième » maman… Il ne pouvait pas remplacer la femme de sa vie, ni maintenant ni probablement jamais. Et vu le milieu d’où cette femme vient, vive l’ambiance à la maison… Il ne voulait pas y aller, il aime son père mais pas assez pour vivre avec lui. Il lui en veut toujours beaucoup pour avoir accusé sa mère de lui avoir mentit sur ce qu’elle était malgré elle et lui avoir reproché de ne pas pouvoir être normale…

- Tu m’as mal compris, je vais revenir à l’internat après ça, mais je vais très certainement sécher les cours jusqu'à ce que je sois probablement viré pour absence à répétition et puis après j’irais travailler avec Lyra et j’me paierais une chambre quelques part.

Sa voix, son regard étaient devenus durs. Elle l’avait mis en colère, et quelque part elle était presque heureuse. Ce n’était pas du vice, non, elle n’était pas vicieuse. Seulement, depuis combien de temps ne s’était-on pas réellement mis en colère contre elle ? De cette colère qu’on a pour les gens qu’on aime. Comme un parent qui gronde son enfant, « pour son bien ». En cet instant, Setsuna lui rappelait cette femme qui criait après sa petite qui avait faillit se faire renverser ; elle avait eu si peur. Cette colère prouve qu’on tient à la personne. C’est pour ça qu’elle était presque contente.
En même temps elle se reprochait de rajouter de la peine à Set’ qui n’en avait vraiment pas besoin.

- Désolée, je sais pas ce qui m’a pris…

Et son ton était vraiment désolé. En fait elle n’avait plus bien les idées en place, c’est assez compréhensible.

Néanmoins elle savait encore très bien écouter et essayait de comprendre. Apparemment son père était divorcer et remarier. Les belles-mères… c’est toujours dur à accepter. Elle ne pouvait pas comprendre la douleur, mais elle se disait que ce ne devait pas être toujours très drôle. Puis elle ne connaissait pleins, qui avaient ce genre de problèmes.
Seulement elle ne pensait pas que c’était ce qui avait déclenché toute cette souffrance chez le jeune homme. Mais elle se garda de poser toute question.
Elle se disait qu’on doit avoir du mal à accepter une autre maman. Mais elle ignorait qu’il avait perdu la sienne.

- Je peux pas dire que je comprends parce que ma mère ne s’est jamais vraiment remariée, mais j’imagine que c'est pas facile…

Quant à la suite, elle se réjouissait d’avoir mal compris. Elle ne voyait pas pourquoi il tenait à se faire renvoyer. Elle n’avait jamais été à l’école avant et était bien satisfaite d’avoir un lycée. Mais elle ne fit pas de remarque : chacun sa vie et ses raisons. Il en avait sûrement de bonnes.

- Alors je viendrais prendre un petit café de temps en temps !

Elle avait essayé de parler d’un air enjoué, avec le sourire. Puis elle ajouta plus sérieusement.

- T’sais, chez moi y a pas grand-chose à briser. Même si je suis toute petite et que j'ai l'air fragile, je suis solide. Alors si t’as besoin d’aide pour te « retrouver » tu m’appelles, promis ?

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